Source: minoteriedenaurouze.blogspot.fr
Parcours d’écoute entre eaux, vents et pierres
Le bruissement des lieux
Minoterie du Seuil de Narouze (Aude)
sur l’invitation d’Alain Joule et de Pascale Goday
dans le cadre du Méta-Opéra « La clé des Dormants »
A mon arrivée, de belles surprises, trois éléments se partageaient la vedette pour donner au lieu une incroyable présence physique et dynamique.
Le premier à m’accueillir fut le vent. Un grand vent d’Autan, coutumier de cette région, omniprésent et tempêtueux ce jour là. Ce vent gronde, balaie les feuillages à qui il donne voix, du sourd gémissement aux bruissement des peupliers trembles les bien nommés. Il s’engouffre dans les fous les espaces de la minoterie par le moindre interstice, la moindre tuile mal ajustée, et donne à chaque pièce, à chaque couloir, une couleur sonore différente. C’est un vent maestro, virtuose, même si dit-on, à forte dose, il rend fou par l’intensité de sa présence et sa pugnacité à secouer le paysage. Durant notre balade, il fut néanmoins un allié de poids qui, loin d’écraser l’écoute, lui donna mille reliefs au gré de ses bourrasques, accalmies, et des sites traversés, plus ou moins protégés ou exposés.
Le second élément rencontré, incontournable lui aussi sur ce site fut l’eau. La minoterie du Seuil de Narouze a naturellement construit son moulin sur un cours d’eau, et est de plus située sur une ligne de partage des eaux, à quelques centaine de mètres du canal du Midi et d’un lac artificiel, bassin de rétention construit sous le règne de Louix IV. L’eau est donc elle aussi une constituante des plus importante du site. Elle est d’ailleurs ici exploitée de façon très complexe pour la régulation et l’irrigation des plaines agricoles du Lauragais. De nappes tranquilles et silencieuses en des rigoles ou bassins encaissés, d’ou elle surgit par des boyaux rétrécis, avec un grondement imposant des puissantes basses, l’élément aquatique propose une riche palette de sonorités. Ces dernières la rendent acoustiquement présente quasiment partout sur le site, à différents degrés, pour le bonheur du promeneur écoutant. Un espace tout à fait magique est la salle des turbines, sous la minoterie. On y accède par un escalier escarpé qui nous amène au cœur d’une immense salle où se dressent d’énormes machineries, turbines, tuyaux… décor de science-fiction noyé dans un tonnerre aquatique véritablement assourdissant. A la fois un émerveillement mais aussi, paradoxalement, un enfer pour les tympans pour qui s’y attarderaient trop longtemps.
Un des gestes les plus intéressants de ce parcours fut le grand nombre possibles de mixages eau/vent, en jouant sur des approches ou des éloignement progressifs des sources aquatiques, fondus enchaînés auriculaires laissant plus ou moins de place aux éléments dans leurs équilibres, ou déséquilibres, dans leurs maîtrises ou non maîtrises.
Et enfin le troisième élément à m’accueillir dans ses murs fut la pierre. L’imposante masse de la Minoterie désaffectée, de ses différents corps de bâtiments sur deux étages, traversés de cours d’eau aménagés, avec le moulin, les silos, les habitations, la sale de lavage, les espaces de séchages… Déambuler dans la minoterie offre un choix de points de vue et de points d’ouïe qu’il faudrait prendre beaucoup du temps pour en explorer les finesses. Néanmoins, après une écoute rapide, ces espaces sonnent chacun de façon différentes, avec plus ou moins de porosité avec l’extérieur. Des escaliers en bois craquent joliment, une salle avec un bassin de lavage présente une acoustique tout à fait remarquable, endroit idéal pour installer temporairement des sons décalés via des craquèlements de céramiques mêlés à des chants d’oiseaux malgache et à l’échauffement vocale de Pascale Goday captée quelques heures plus tôt in situ… Une grande cage-Volière dans le hall d’entrée se comporte, explorée au stéthoscope, comme une incroyable harpe métallique, avec des résonances et des harmoniques que l’on excite de la main, et qui chante différemment selon les caresses, tapotements ou pincements de ses cloisons en fil de fer. Dehors, on explore le grondement d’une chute d’eau du trop plein « la rigole » alimentant anciennement le moulin. Sans parler de tout ce qui a échappé à mon oreille tant le lieu et vaste et riche…
J’avais au départ imaginé, au vue des photos du site, un parcours essentiellement intérieur, architectural en quelque sorte. Mais c’était compter sans la beauté et la richesse de l’écrin extérieur que je ne pouvait plus, arrivé sur place, ignorer. Le parcours joua donc sur des rapports extérieurs – intérieurs, ce qui nous amena à ressentir sensiblement les espaces les volumes, et leurs ambiances spécifiques, et tous les « sas transitoires » qui les relient.
La question liée aux rapports de l’écoute in situ et à la prise en compte de l’écologie sonore, à noter que nous étions à la date de la « Word Listening day », amena à un sympathique débat avec les promeneurs écoutants du jour, dont la propriétaire, qui fut ravie de redécouvrir le site et son propre bâtiment à l’aune de ses oreilles.
Ce parcours fut suivi d’un autre parcours Méta-Opéra « La clé des Dormants », écrit parAlain Joule et interprété en duo avec Pascale Goday. Œuvre protéiforme, alternant jeu instrumental, chant, déambulation, actions, peintures, installations plastiques, projections vidéos et sonores… Cette Clé des Dormant place la communication entre les hommes comme sa problématique centrale. En 10 tableaux écrits dans les murs de la Minoterie, s’y référant, les citant, les magnifiant, le duo d’artistes donne 14 fois la représentation de ce spectacle, chaque fois différent, peaufiné, élargi par notamment la magie des lieux et le travail in situ. Moments magiques, synesthésiques, profondément humains, si vous passez par le Lauragais (Aude), ne manquez pas d’y assister, les vendredis soirs jusqu’en septembre prochain.
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