CHRONIQUES DESARTSONNANTES, ÉCRIRE LES SONS


ÉCRIRE LES SONS

L’envie m’a pris un jour de dire et pour cela d’écrire les sons. Sans l’habituel magnétophone, avec un papier, un crayon,
mes oreilles, et une écriture quasi instinctive, sur le vif, dans l »action de l’écoute.

C’est une vision partiale, fragmentaire, pas forcément descriptive, au coup de cœur, sans ondes vibrantes, uniquement
calligraphiée.

CHRONIQUE DESARTSONNANTE 1

Assis sur un banc, à la périphérie d’une petite place ombragée de
grands platanes, calme mais néanmoins très vivante, tout près de chez moi… Son ambiance sonore façonne mon écoute, probablement tout autant que l’inverse… Je m’y retrouve, centré entre mes
deux oreilles, nourries de ce petit territoire d’écoute; mon quartier m’appartient aussi par ses sonorités, ses ancrages qui me font reconnaître des voix, des grilles et portes de commerçants, la
traînée de quelques trains en arrière-plan… Je m’adonne à ce jeu d’écoute sans retenue.

 

CHRONIQUE DESARSONNANTE 2

Fin de soirée, jour tombant. Je me suis calé les oreilles sur un banc d’écoute urbain, un autre, exactement centré entre
deux routes qui du reste convergent juste derrière moi. Chacune est régulée par un feu tricolore, mais pas forcément patriotique. Une route à droite, l’autre à gauche. Il en résulte deux flux
sonorement pendulaires. Tension à droite, détente à gauche, et vice et versa. Lorsque la route de droite voit sa circulation bloquée par un signal lumineux, celle de gauche fait entendre un
vrombissement de moteurs qui libère un flux motorisé, alors que celle de droite le maintient stoppé. Alternance concomitante de démarrages accélérations en même temps que d’arrêts décélérations.
Le tout stéréophoniquement bien localisés de droite à gauche, ou l’inverse. Rajouté à cela un sonal/signal en verticalité, tout en hauteur par dessus ma tête, avec des oiseaux stridulant en
flèches traversantes qui strient le ciel de sifflements véloces. Plus la soirée s’avance, plus les flux routiers s’apaisent, repus de mouvement. Les oiseaux quant à eux semblent profiter
momentanément de l’espace sonore libéré pour occuper la scène acoustique, jusqu’à ce que tout se fonde progressivement dans une tranquille rumeur urbaine, somme tout rassurante.

CHRONIQUE DESARTSONANTE 3 

Oreille en campagne, matudinale, face aux champs et forêts comme horizons verdoyants. Le centre d’une petite ville reste
en ligne de mire, avec son clocher comme repère central se détachant sur un fond de collines boisées. On sent la résonance du lieu avant même de l’entendre.

10H 30, une volée de cloches enjouées secoue joyeusement l’espace. Ces dames d’airain, cachées dans leur haute tour
dominant le village, égrainent à l’envie des chapelets de notes cuivrées, dorées, rebondissant sur les collines alentours, en dessinant le pourtours d’un paysage doucement vallonné. Elles se
taisent progressivement, par a coups déclinant, et parfois chaotiques, remettant des voix d’enfants au premier plan. Puis elles reprennent de plus belle, en une salve d’honneur carillonnante,
l’écoute est désormais en marche, dopée de fraîcheur campanaire.

CHRONIQUE DESARTSONNANTE 4

Une place habituelle, à la croisées de voies urbaines, retour itératif, un de mes bancs favoris, de nuit tombée, chaleur
estivale.

Avec la volonté de dompter l’interminable feulement urbain tissé de drônes mécaniques et mouvants.

Tout d’abord, tendre l’oreille.

Mais ne pas la laisser se noyer au creux de la vague feulante déferlante.

La pointer vers une source, précise.

Entreprendre une écoute parabolique, rigoureusement orientée.

Zoommer pour extraire du background le petit son isolé, instantané pertinent.

Défaire un peu du fond sonore en en prélevant des émergences fugaces.

Ainsi, à ma droite des voix de jeunes femmes s’invectivant

A ma gauches, des talons qui claquent sur le trottoir complice

En face, des pépiements stridents peuplant un arbre citadin…

Tout cela extrait et séparé du chaos, pour être discernable.

Façon de ne pas se laisser submerger par la rumeur ambiante.

Façon aussi de maîtriser, même épisodiquement et partiellement, un temps et lieu d’écoute.

Avec l’entraînement au fil des affûts sonnants, je devrais percevoir de plus en plus d’infimes secrets de la ville
bruissonnante…

L’oreille a encore du travail pour s’extirper des bruits hégémoniques, mais elle se réserve pour cela tant de belles
plages auriculaires que la ville cachottière rechigne à livrer.

CHRONIQUE DESARTSONNANTE 6

La saline royale d’Arc et Senans, 1 heure du matin, une journée de congrès s’est achevée. Je me promène, quasiment seul
dans ce site magique, avec des éclairages qui découpent la rigueur circulaire de l’architecture de Claude Nicolas Ledoux. Le lieu utopie nommée et pourtant bien en pierres, dessine une enclave
surgit d’on ne sait où, où le temps même n’a plus beaucoup de prises. Construction en demi-cercle, concentrationnaire, panopticum où le maître voit, et sans doute entend tout. Le silence semble
régner, imposant et massif. Mais cette certitude s’ébranle vite. Des voix fusent d’une fenêtre éclairée, lion devant, tout au bout de l’immense pelouse hémispérique. Elles rebondissent sur la
paroi de bâtiments en vis à vis, rendant leur localisation incertaine d’échos trompeurs. Une ventilation à la fois ténue et obstinée nappe le site, anachronie sonore. Dans une clapotis de
bruissements d’ailes, un couple de chouettes prédatrices chassent une nuée de chauve-souris engluées dans de puissants projecteurs. A l’extérieur, le meuglement d’une vache, puis un ronronnement
de voiture, parviennent à pénétrer les murs puissants, reliant, même très légèrement, un intérieur quasi monastique, à un extérieur qui ne veut pas se gommer pour autant. L’instant d’écoute, dans
la beauté nocturne de ce bâtiment, visuellement parlant, n’en reste pas moins un beau moment, à la limite de l’hors-lieu, au confins de l’hors-temps.

Saline royale d’Arc et Senans – 17 août 2012 – 2e Congrès mondial d’écologie sonore

APHORISME/INTERLUDE : SIX REINES 

Les sons par mes oreilles me hèlent, des pourtant ce sont des
îles qui me répondent..
.

CHRONIQUE DESARTSONNANTES 7

De retour d’un congrès où le verbe fut bien sonnant, l’oreille bruissemment sollicitée, l’attention auriculairement
entretenue, mon écoute aujourd’hui décompresse. 

Des voix anodines, me semble t-il heureuses sous le soleil
dominical, des claquements de portes mais avec une sage modération… L’espace de vie, celui dans lequel mon écoute se trempe ordinairement, me ramène à une quasi normalité.

C’est une sorte de retour au quotidien de l’écoute qui me réancre doucement, dans une nappe acoustique de repères
retrouvés. Demain c’est promis, je me dépayse à nouveau !

 

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