L’art sonore selon Max Neuhaus
J’avais au départ prévu de vous présenté, dans ce troisième article, le travail de Max Neuhaus concernant les soundwalks, ou balades sonores, mais à la réflexion, j’a préféré vous entretenir, toujours à partir d’un texte de l’artiste, des arts sonores, plus globalement. En tous cas de la façon dont Max Neuhaus envisageait personnellement les arts sonores, et la signification, les stratégies qu’il voyait se cacher derrière ce vocable. Comme vous pourrez le constater, l’auteur n’est pas toujours très tendre avec certaines pratiques, institutions et professions… Sa réflexion, bien que datant d’une communication effectuée en 2000, est je pense toujours, voire plus que jamais, d’actualité. Sémantique, compétences, médias, honnêteté, tendances, stratégies et politiques culturelles commerciales, des questions qui ne touchent évidemment pas uniquement que l’art sonore, et que Max Neuhaus pose avec un certain franc parler.
L’art sonore ?
Depuis le début des années 1980 un nombre croissant d’expositions ont vu le jour dans des institutions jusque là plutôt consacrées aux arts visuels, qui présentaient dorénavant des travaux sonores, à tel point qu’en 1995, ces pratiques étaient quasiment devenues monnaie courante dans le champ artistique. Ces expositions mettaient en scène souvent une partie importante, parfois même la totalité des créations concernant soit des musiques expérimentale, des sculptures cinétiques, des lutheries expérimentales, éoliennes, des instruments joués par le public, des création sonores plutôt ancrées dans un art conceptuel, des dispositifs sonores singuliers, de nouvelles technologies, des lectures enregistrées ou performées, de textes en prose ou de poésies, des œuvres visuelles et sonores, des interfaces musicales ou sonores, des automates, des vidéos, des œuvres liées aux field recordings, des programmes informatiques interactifs dédiés à la production sonore… En bref, l’art sonore semblait être devenue une catégorie pouvant inclure tout ce qui peut produire du son, voire même, dans certains cas, des choses « muettes », des représentations sonores ne produisant aucun son, mais le suggérant plutôt..
Parfois, ces expositions d’art sonore ne s’aventuraient pas trop a programmer ce qui pourrait apparaître comme des œuvres originales, mais le plus souvent se contentaient de sélectionner une série de musiques disparates, renommées pour les « rafraîchir » créations sonores, ou art sonore, pratique on en conviendra un rien frileuse voire malhonnête.
Face au conservatisme musical au début du siècle dernier, le compositeur Edgard Varèse avait proposer d’élargir la définition de la musique comme une pratique de composition pouvant inclure tous les sons, sans exceptions, à partir du moment où ils se trouvaient organisés. John Cage était même allé plus loin en incluant, manifestement, le silence. Aujourd’hui, notre réponse ne peut certainement plus être de nous mettre la tête (et les oreilles) dans le sable, il nous faut accepter ce qui constitue véritablement une nouvelle forme de musique, ou quelque chose d’autre, de nouveau – peut-être de l’art sonore.
Je pense que nous devons reposer la question de savoir si oui ou non, l’art sonore constitue vraiment une nouvelle forme d’art. La première question qui serait peut-être à poser, est pourquoi nous pensons que nous avons besoin d’une nouvelle appellation, pour finalement renommer des choses pour lesquelles nous avons déjà des noms pertinents. Est-ce parce que leurs genres, leurs esthétiques, leurs appartenances, appartiennent à, ou révèlent un public, une communauté d’écoutants, de professionnels, d’artistes, que nous n’avions pas déceler précédemment ?
Examinons la terminologie même. Elle est composée de deux mots. L’un d’entre eux est est le son. Si nous regardons les exemples cités ci-avant, bien que la plupart sont des créations sonores, ou font appel à certaines formes de sons, ce dernier n’est souvent pas la partie la plus originale, la plus prégnante des œuvres – Pratiquement toutes les activités dans le monde ayant une composante sonore. Prenons maintenant le mot art. L’acception ici, c’est que l’on se réfère non pas à un artisanat sonore, un métier d’art et de savoir-faire, mais plutôt à l’esthétique, aux mouvements liés aux beaux-arts. Or il est clair, quelle que soit la valeur particulière de ces différentes œuvres, qu’un certain nombre d’entre elles n’ont tout simplement rien à voir avec l’art !
C’est en fait comme si les conservateurs, parfaitement compétents dans les domaines des arts visuels, perdaient soudainement tout bon sens dans leur jugement, à la mention du mot sonore. Ces mêmes professionnels, qui se seraient sans doute ridiculisés en créant une nouvelle forme d’art appelé disons, « Art acier », parce qu’on y trouverait des sculptures en acier combinées à des musiques de guitares, elle-même en acier, ainsi que toute autre élément en rapport avec ce métal entrant dans la composition d’œuvres, n’ont pourtant aucune difficulté à accepter l’expression d’art sonore, pour le meilleur et pour le pire.
Dans l’art, le média n’est pas souvent le signifié.
S’il existe une raison valable pour classer et nommer les choses dans la culture, dans l’art, ce n’est pas forcément pour l’amélioration, la précision de leurs définitions. La véritable expérience esthétique se situe pourtant dans des pratiques très précises, très fines, et non pas dans une forme d’aplanissement de ces expériences, qui seraient pensés pour la promotion de secteurs nivellant par le bas, dans le cas de la création sonore en tous cas. Une grande partie de ce qui est nommé art sonore aujourd’hui, n’a hélas pas grand chose à voir ni avec la création sonore, ni avec l’art.
Avec nos moyens désormais quasi illimités pour façonner le son, il y a évidemment un nombre infini de possibilités d’exploiter le vaste potentiel de ces champs artistiques, d’une façon qui envisage et travaille au-delà des limites même de la musique et de fait, peut permettre de développer véritablement de nouvelles formes d’arts. Cependant, lorsque cela devient une réalité tangible sur le terrain artistique, nous devrions inventer de nouveaux mots pour cela. L’art sonore est en effet déjà une expression désuète et inappropriée.
Max Neuhaus
First published as an introduction to the exhibition « Volume: Bed of Sound », P.S.1 Contemporary Art Center, New York, July 2000.