Ausculter le paysage
Écouter attentivement un lieu, plus profondément que par une audition « normale » (audire, écouter – audio, j’écoute, auscultare = écoute profonde)…
Médicalement, le geste de l’auscultation, est d’écouter de (très) près, mais aussi de toucher, de palper, de faire résonner, pour entendre ce qui fonctionne et ce qui dysfonctionne à l’intérieur-même du corps humain, et si besoin est, de définir et d’appliquer des soins adéquat.
Socialement, l’ausculation d’un territoire permet d’étudier en détail les modes de fonctionnement, ou de dysfonctionnement, d’un système, d’un lieu, d’un groupe. Analyser à la loupe les contraintes sociales, politiques, économiques, le confort ou l’inconfort des lieux (y compris acoustiquement). comment, au fil de petits détails sonores je m’entends (ou non) avec ma ville, mon quartier. et les autres, par le petit bout de l’oreillette… Comment
un ensemble de détails a priori insignifiants pris séparément, donnent à lire un paysage-patrimoine sonore en perpétuelle reconstruction.
Postures physiques liées à l’auscultation
Écouter de près, tendre l’oreille vers, coller l ‘oreille à, utiliser des dispositifs, acoustiques, de vrais stéthoscopes par exemple, ou électroacoustiques, pour focaliser, amplifier, entendre au plus près, explorer et sonder la matière.
Palper, tater, mettre en vibration, faire résonner, faire sonner, y aller de la main, du bout des doigts.
Exemples : je pénètre sous la frondaison d’un arbre, je glisse mes oreilles entre ses feuillages pour en écouter les bruissements au plus prêt de mon oreille, je plonge la tête sous l’eau, je colle l’oreille contre la rampe, la barrière métallique, la porte, j’écoute via une cavité, un tuyau, les ronronnements urbains, les écoulement de fluides …
Ce sont les infimes vibrations qui composent un paysage sonore surprenant, inouï
, musique des espaces intimes…
Pour un paysage global
Je définis des zones d’écoute circonscrites, focales, hors-champs s’il le faut… Je décide de faire un zoom auditif sur un territoire, une ville. Je choisis un quartier une rue, un recoin, une barrière où coller l’oreille, je zoome vers l’intime, le très petit, l’in-entendu, l’inaudible. Je collecte une matière sonore microsonique, je passe du panoramique au microscopique, et inversement, glissements d’échelles…
Des protocoles ou des méthodes d’écoutes approfondies.
Je recherches des postures, des parcours types, des sites singuliers, des objets singuliers, des modes d’excitation, d’écriture, d’analyse, de rendu… De l’exploration physique à l’exploration/extrapolation mentale, intellectuelle… Je marche, je m’allonge, je m’immerge, je plonge dans la matière sonore, je suis moi-même une particule de matière sonore.
Établir un corpus de mots et ou d’images pour partager les auscultations paysagères
Quels mots, quels images peuvent traduire une écoute rapprochée, intime, entre description méthodique et ressenti subjectif, sensible… Trouver un, ou des langages communs pour une activité d’écoute encore peu connue, reconnue et pratiquée, hors champ musical. Idem avec des représentations graphiques informant sur les aspects physiques, esthétiques, rassemblant des auscultations pour les transformer en partitions urbaines, ou non…
Choisir des procédures et dispositifs permettant de favoriser des micros écoutes, selon les lieux abordés, les ambiances rencontrées… Envisager des formes de rendus, de diffusion, de médiatisation contextualisées, pour partager ces auscultations paysagères.
Des parcours, promenades, installations, créations sonores, écrits graphismes, formes plastiques… d’après collectage de terrain…`
Ausculter d’un bon pas
La promenade est envisagée comme un moyen de focaliser sur des lieux que parfois seul le piéton peut visiter, tels des friches enclavées, cours intérieures, architectures, escaliers… Le marcheur s’autorise le droit d’aller à la rencontre
d’ambiances intimes, en les approchent de près, de très près. Il organise son parcours comme un enchainement de points d’ouïe, de loupes acoustiques, tissant un cheminement auriculaire paysager. La marche est l’une des meilleure amie du promeneur ausculteur écoutant.
Prévenir et guérir
Nous sommes là de plain-pied dans l’écologie sonore. Ecouter attentivement pour s’assurer d’un fonctionnement normal, ou de ratés, qui pourraient encore être « réparées » Savoir le plus précisément que possible ce qui ne marche pas, ou pas correctement, de façon à guérir ce qui n’est pas « sain ». Pourquoi beaucoup de lieux publics sont invivables tellement l’acoustique est très brouillonne, ostentatoire, et qu’au final, on s’y entende peu ou pas du tout ? Pourquoi l’écoute, qui devrait être source d’information et de plaisirs, devient-elle si désagréable dans certains espaces publics, ou privés ?
L’auscultation vers une esthétique de la simplicité
Ne pas trop complexifier le discours, ne pas imposer des dispositifs lourds, intrusifs, invasifs. Se rapprocher du beau, du plaisir à portée d’oreilles, sans ignorer pour autant les pollutions et autres envahissements. Prôner la belle écoute comme une plus value incontournable et indispensable au mieux vivre.