City Sonic 2017, premiers retours sur sons
Quelques semaines après la clôture de cette quinzième édition de City Sonic, le festival international des arts sonores, voici quelques retours de cette manifestation hautes en couleurs, et en sons cela va de soi.
Depuis quelques années déjà, je travaille à la Sonic Radio, avec mon amie et collègue Zoé Tabourdiot. Cette web radio, en partenariat avec d’autres radios hertziennes, cette année CharleKing de Charleroi, YouFM de Mons et Radio Panik de Bruxelles, me permets de rencontrer et d’échanger avec de nombreux artistes, ce qui pour moi est une chance inouïe. Cette année, Philippe Franck, infatigable et bouillonnant directeur artistique et fondateur du festival, m’a également demandé de donner une conférence autour du travail de Max Neuhaus, artiste précurseur des arts sonores américain, ainsi que d’effectuer un PAS – Parcours Audio Sensible nocturne, dans la ville de Charleroi, en échos aux « Listens » de l’artiste. J’en reparlerai ultérieurement.
Après des années de parcours sonores à Mons, City Sonic a déménagé, pour venir s’installer en plein cœur de Charleroi. Nouvelle cité, nouveaux bâtiments, nouveaux publics, nouveau (re)départ pour ce festival qui néanmoins garde sa trajectoire initiale. Ces incontournables rencontres conservent des objectifs, dont celui de titiller joliment l’oreille, en proposant un large panel d’installations, concerts, performances, rencontres, ateliers… et en convoquant arts plastiques et sonores, poésie, écritures, nouveaux média, le tout dans un parcours urbain dedans/dehors. Si le cadre change, si la programmation évolue, profitant du riche terreau local déjà en place, si les dispositifs et la logistique s’adaptent au contexte et au tissu carolo, la philosophie d’une écoute riche et diversifiée, pour un très large public, demeure le fer de lance de cette Sonic aventure.
Le changement de lieu est très remarquable, voire parfois assez radical, entre Mons, bourgade du Hainaut au centre dont la riche architecture patrimoniale donne un cachet non sans une certaine noblesse historique, et Charleroi, vaste cité post industrielle bouillonnante, entourée d’usines désaffectées tentaculaires. Charleroi est une sorte d’univers urbain oscillant entre des visions façon Bilal et Schuiten. La ville est surprenante autant qu’attirante, presque envoûtante, surtout de nuit, pour moi, un nouveau terrain d’explorations sonores à ciel ouvert.
Mais je vous en reparlerai bientôt de mes repérages et du PAS – Parcours Audio Sensible récemment effectués dans la cité.
Rendre compte du festival City Sonic, à Mons comme à Charleroi, est toujours un exercice compliqué, devant l’abondance et la diversité de ses propositions, artistes reconnus et émergents, toujours prometteurs, confondus.
Pourtant, après chaque édition, je tente de le faire, de façon imparfaite certes, incomplète et extrêmement partiale, mais il me faut faire des choix, que j’assume personnellement.
Entre coups de cœur et œuvres que l’on a pas eu le temps de voir et d’entendre, ou trop rapidement pour s’en faire une idée, et des événements qui se dérouleront après mon départ, le choix reste souvent cornélien.
Voici donc un premier retour, autour d’un artiste inaugurant une petite sélection d’œuvres et de créateurs sonores rencontrés, un focus personnel, sachant que beaucoup d’autres auraient eu leur place ici
Raymond Delepierre – X Bell X-1
Je retrouve ici une connaissance et ami depuis quelques années, artiste bruxellois créant une œuvre sonore très diversifiée et intéressante, entre arts plastiques et sonores. Raymond a ici investi une très longue bande sur la façade d’un imposant lieu multiculturel, bar, restaurant, cinéma, salles d’exposition, sur laquelle il a installé une magnifique collection de haut-parleurs vintages type Public-Adress. Ces objets haut-parlants ont une histoire, ou plutôt des histoires, qu’ils affichent clairement par leurs esthétiques d’objets qui ont vécu, qui en ont vu, et entendu. Voici d’ailleurs le texte de présentation de X Bells X-1
« Cette installation extérieure et contextuelle est composée de 24 mégaphones historiques datant des années 1960 jusqu’aux années 2000. Ceux-ci ont été fabriqués aux USA (N.Y.), Norvège, France, Belgique, Allemagne, Royaume Uni. Ils ont servi dans de multiples manifestations militaires (aux États-Unis), culturelles, politiques et sociales. Ils ont diffusé les voix de hauts dirigeants de ce monde, de personnes issues de la société civile, mais aussi des musiques et des chants de la révolte et de la joie, des discours de paix, de haine et de mémoire. Par leurs formes semblables à des cloches d’appel, des cloches d’alerte, pour les évènements de vie et de mort, ils constituent une mémoire collective intrinsèque. En référence à Halbwachs et en rapprochant ces deux termes, mémoire et collectif, il se proposait, tout d’abord, de démontrer que tout groupe organisé crée une mémoire qui lui est propre. Il poursuivi sa réflexion en démontrant que la mémoire individuelle s’appuie, dans les processus de remémoration et de localisation, sur des formes, sur des « cadres » issus du milieu social. Cette installation permet de créer un ordre d’idée individuelle au sein du collectif par son pouvoir à extraire l’auditeur de son environnement – les sons diffusés permettant d’isoler le lieu de diffusion afin de lui donner une vie propre. Mais aussi de rassembler un individu ou un groupe social dans le champ d’action sonore. »
Les sons de cloches diffusés sont traités, étirés, filtrés, amputés de leurs attaques et chutes (enveloppes acoustiques transformées pour les puristes), donc ils forment une nappe, un halo qui peut rappeler les résonances campanaires sans pour autant évoquer l’objet cloche de façon parfaitement identifiable en tant que tel. Un halo sonore cueille les passants sur la promenade piétonne que surplombe l’installation et un pont enjambant la Sambre voisine. Les promeneurs cherchent des yeux (et des oreilles) la source du son, qui n’est pas si évidente à localiser de prime abord. Parfois s’arrêtent, s’assoient sur les marches du pont pour écouter, ralentissent… Ils ne savent pas forcément, hormis les aficionados du festival, ce qui est transformé dans l’espace, pourquoi et comment, mais ressentent très clairement la modification de l’ambiance auriculaire du site. Cette installation en espace public agit comme une sorte de filtre colorant l’acoustique ambiante, donnant comme le dit Raymond Delepierre une certaine distance à la ville et à la fois dialoguant intimement avec elle. Ce continuum sonore sert parfois d’écrin, ou de contrepoint aux moteurs de péniches naviguant tout près, aux puissants klaxons et ferraillages des trams également assez proches, et à tout ce qui ponctue le site d’émergences résolument urbaines.
Le niveau sonore de l’installation a été réajusté après concertation avec les responsables de l’établissement (bar restaurant), dont une terrasse qui se trouve tout juste en dessous est douché par les HP, pour trouver un consensus sonore, même si je trouve que le dispositif est très loin de déranger, et moins encore de constituer une nuisance dans l’espace public, bien au contraire!
Si le son en espace public demande moult précautions pour ne pas se faire envahissant, intrusif, j’en parle régulièrement et constate hélas mille maladresses, voire pures ignorances d’artistes sonores sur les contraintes de tels espaces, Raymond a réussi un dosage réussi entre l’espace acoustique de la ville et les sons qu’il y superpose de façon très subtile.
Bref, entre l’esthétique de cette rangée de public-adress joliment agencés, la réflexion sur l’objet et ses fonctions et usages (propagande, muzzac, annonces diverses, sonorisation festive, ou guerrière…), l’équilibre de présence et de discrétion et la couleur sonore qui vient jouer avec les lieux, cette installation est pour moi particulièrement réussie et m’a beaucoup interpellé, dans le sens le plus positif du terme bien sûr.
Présentation de X Bell X-1 via City Sonic
Interview de Raymond Delepierre par la Sonic Radio 2017
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