Ce qui nous lie

Arrivant tout juste à Charleroi, avant que de me lancer dans une première exploration pédestre de la ville, je croise Stéphanie Laforce, artiste, sonore cela va sans dire, activiste pluridisciplinaire belge, et invitée cette année à City Sonic.
Nous nous étions du reste déjà rencontrés lors d’une précédente édition, à Mons, et nous retrouvons donc de façon impromptue, devant un café, pour causer de choses et d’autres, notamment sonores.
Stéphanie crée ses propres univers, entre électroacoustique, installations transmédiales, performances… Sa production sonore embrasse des compositions aux univers variés et très personnels, poétiques, engagés socialement, vocaux ou instrumentaux, n’hésite pas à entremêler musique baroque, field recording, chanson et sons électroacoustiques, avec beaucoup de pertinence et de finesse (voir la fenêtre d’écoute en fin d’article).
De concerts en expositions, d’installations-interventions intérieures/extérieures en performances, côtoyant la danse, le cirque, son univers, à la fois poétique et très physique interroge différents lieux, façon d’y habiter aussi, et décale, selon les environnements investis, le regard comme l’oreille, un geste artistique par définition.
Lorsque je vais visiter son installation pour la première fois, « Ce qui nous lie », (un clin d’œil au film de Cédric Klapish?), elle est en cours de montage. Je trouve l’artiste assise en tailleur, devant un ordinateur, ronchonnant contre un patch informatique* qui n’en fait qu’à sa tête, et entourée d’élastiques tendus du sol au plafond dans l’espace.
Dans cette grande pièce lumineuse occupant le deuxième étage du Quai10, nouvel espace culturel et de loisirs sur les rives de la Sambre, son architecture d’élastiques tendus et de poulie, invite d’emblée le public à venir jouer avec l’œuvre, dans une interactivité clairement affichée. Il est absolument obligé de toucher l’œuvre sinon, elle restera inerte et muette ! Une forme d’injonction non verbale et néanmoins implicite.
Je reprends ici le texte de présentation de cette créations le site de City Sonic « Des élastiques dessinent des formes géométriques en lien avec l’architecture du lieu. Ils sont manipulables et déformables par les différentes tensions qui leur sont infligées. Ils deviennent alors des instruments de musique interactifs, dont le public peut jouer en temps réel. Ils sont rendus musicaux par l’intermédiaire d’un système numérique crée par l’artiste. Une réflexion autour de l’idée de la marionnette inversée, du rapport à l’autre… Qui contrôle qui ? Qui induit le mouvement ? Quelle est la part de liberté et de déterminisme dans notre existence ? Comment sortir des rapports de forces ? Comment se mouvoir dans un système contraignant et changeant et trouver la tension juste entre l’autonomie et le lien ? »
Au-delà, ou de façon concomitante, à la recherche esthétique, artistique, architecturale dirais-je ici, et du jeu performatif implicite, il s’agit bien d’une réflexion sur la place de l’homme, ou de l’humain, dans un espace social contraignant. Il nous faut penser cet environnement avec ses libertés et ses entraves, la volonté, tant mentale que physique, de se situer entre différentes subordinations et des espaces assumés, que l’on peut se ménager, s’aménager, parfois dans de réels rapports de force. Il ne s’agit pas pour autant de faire usage de la violence, loin de là, mais plutôt d’une force physique et psychique qui nous permettra de (re)trouver des espaces d’autonomie en s’extrayant de la marionnette potentielle que nous sommes tous à certains moments.
Pour en revenir à un aspect plus concret de l’installation « Ce qui nous lie », lorsque j’ai voulu manipuler les élastiques pour les faire chanter, grâce à un dispositif électronique caché, qui génère des hauteurs, intensités couleurs sonores, selon ce que je mets en tension, et surtout comment j’exerce ces tensions, je n’ai pas obtenu de résultats flagrants. Je me suis vite rendu compte qu’il ne suffisait pas, pour les utiliser comme instrument sonore, d’effleurer, de caresser les élastiques, mais vraiment d’exercer un poids physique, avec de l’énergie, de la vitesse, en les tirant, soulevant, en se déplaçant avec eux dans l’espace. Ce qui nous ramène donc à mes précédentes remarques sur les rapports de force pour arriver à des fins satisfaisantes, et se donner les moyens de contrôler a minima une situation pour ne pas trop subir.
Néanmoins, certains élastiques peuvent se manipuler dans une certaine douceur, comme ceux par exemple avec lesquels je joue ici. Avertissement : Cette petite plaisanterie sonore ne représente en rien l’ambiance de l’installation !
Par ailleurs, plus sérieusement, Stéphanie Laforce, lorsqu’elle montre son installation au public, le soir du vernissage, le fait dans une danse performance, ne manque pas de tonus, dans un engagement physique où elle joue avec l’espace. Les cordes élastiques, son corps-instrumentiste-chef d’orchestre font naitre et disparaitre un panel de sons étirés, sirènes vivaces répondant au sollicitations imprimées par des mouvements tout à la fois véloces et puissants.
Une interview de Stéphanie Laforce par Zoé Tabourdiot, mon binôme pour la Sonic Radio
Cette œuvre contextuelle – ses rapports architecturaux lieu, relationnelle – ses rapports au corps, à un ensemble de visiteurs instrumentistes qui jouent ensemble, place directement le specta(c)teur dans un rapport à l’espace, à l’autre, avec la production sonore comme à la fois un enjeu et une résultante combinés.
*Patch : Section de code que l’on ajoute à un logiciel, pour y apporter des modifications spécifiques, ici liées à la production, lecture et au traitement sonre en temps réel, selon les manipulations du public.
En écoute
Très beau, très créatif. Merci de nous avoir fait découvrir Stéphanie Laforce