Longtemps, la notion d’art environnemental est restée associée aux pratiques du Land Art, né dans les année 60, avec entre autres comme chefs de fil des artistes tels Richard Long et Robert Smithson.
Arts de la construction in situ, Earthworks (Terrassements), traces de marches, constructions in situ, usage de matériaux naturels, recherche de grands espaces, le Land Art privilégie une relation forte aux milieux investis, à l’environnement qui l’accueille et le nourrit.
Depuis quelques années, les relations artistes environnement ont pris une autre tournure, avec d’autres modes de revendications, parfois plus politiques, ou autrement politiques, la COP21 aidant, où la coloration verte de nuages d’incinérateurs ou du Grand Canal de Venise, attire l’attention sur des urgences climatiques de plus en plus brûlantes.
Du symbolisme poétique des grands espaces, des rituels post Amérindiens, des éco-artistes de ces dernières mettent le doigt sur des dérives écologiques, réinvestissent la ville mégalopole, les grands centres d’art, les expositions internationales, avec des messages alarmistes, si ce n’est alarmants.
Mobilisation somme toute tardive dénonçant des dangers latents, que pointent déjà l’écologiste René Dumont dans les années 70, et même Henry David Thoreau, ce dernier nous mettant en garde aux vues de la fragilité de la Terre dés le milieu du XIXe siècle, lorsque que Révolution Industrielle prenait son plein essor.
Aujourd’hui, les actions et réalisations artistiques dénonçant les dérives en cours sont légions, parfois spectaculaires et parfois sans doute un brin opportunistes. Ainsi va la vie.
Pour en revenir au monde du son, l’ethnomusicologie, dans ses relevés sonores a acté la disparition de nombreuses langues et dialectes, entrainant une paupérisation culturelle renforcée par les mouvements colonialistes souvent radicaux. Si nous ne sommes pas encore dans des constats écologiques au sens courant du terme, les changements sociétales assez violents avaient néanmoins de quoi à inquiéter une humanité un brin trop emballée dans ses désirs expansionnistes. Les audionaturalistes, de Jean Roché à Fernand Derroussen, entre autres preneurs de sons aguerris, les biophonistes (Bernie Krause) ont eux aussi tiré la sonnette d’alarme sur la disparition de nombreuses espèces animales, entre autres ornithologiques, qui allait crescendo au fil des années.
Ces derniers ne se revendiquant pas (tous) artistes, même si certains se placent sciemment entre des mouvements naturalistes « classiques » et des productions esthétiques, voire artistique assumées.
Pour avoir commencé à marcher et à écouter, le cas échéant enregistrer les paysages ambiants depuis le milieu des années 80, j’ai évidemment constaté des évolutions, tant bien sûr au niveau des technologies qui, de l’analogique au numérique ont grandement infléchit les gestes du preneur e son, qu’au niveau d’une prise de conscience et d’une affirmation plus nette d’engagements politiques à visées écologiques.
Sensibiliser, mettre le doigt là ou ça fait mal, résister, dénoncer, militer, faire pression, autant de postures et d’actions qu’artistes comme scientifique, écouteurs, marcheurs, preneurs de son, spécialistes des écosystèmes, de l’urbanisation, des ressources naturelles… convoquent aujourd’hui. Même si ces prises de positions ne sont pas systématiques, tant s’en faut.
La première pratique qui pour moi relève d’une conscience et d’un geste écologique, en tout cas dans ma démarche, est celle du soundwalking, communément nommé en France Balade sonore, et que j’intitule pour ma part PAS-Parcours Audio Sensibles, appellation purement Desartsonnante.
Marcher pour écouter.
Ou bien inversement.
En faire une action collective où silence et prise de paroles, dialogues, échanges se répondent.
L’envisager comme un geste contextuel, où le milieu, le paysage, le territoire influeront les déambulations, modes d’écoutes et autres postures physiques, mentales, intellectuelles, ou purement sensibles.
Prendre le temps de ralentir le pas, comme le mode de vie, le temps de faire sans surenchère, de résister à l’agitation ambiante, à la perpétuelle course en avant; prendre le temps d’écouter, de regarder, d’un geste collectif, d’une perception accrue autant que partagée.
Ne pas se couper de la perception sensible de nos environnements, y compris hyper-urbains, du soleil de la chaleur ou fraîcheur, du vent, des lumières, des perceptions kinesthésiques, corporelles, des matériaux et sols que nous foulons.
Rester en contact avec les gens, emmenés, croisés, d’un regard complice, d’un sourire, d’un geste bienveillant et amène, celui de l’écoute par exemple.
Montrer ce qui fonctionne, les oasis sonores et autres aménités paysagères, comme ce qui dysfonctionne, entre saturation et paupérisation.
Des choses qui paraissent éminemment simples, faciles, voire simplistes, et qui pourtant, à l’aune des expériences vécues et partagées ne le sont pas autant qu’on pourrait le penser, ou en tout cas pas si fréquentes que cela.
En ce qui concerne le field recording, ou enregistrement in situ, ce dernier vient toujours pour moi après la marche d’écoute, fut-elle un repérage en solitaire.
Il n’est pas forcément une finalité en soi.
Il est un prolongement, trace, une forme d’écriture sonore à posteriori, une façon de dire et de fixer parfois des ressentis, des images fugaces, des impressions, des plaisirs, ou déplaisirs…
C’est également un moyen de retravailler esthétiquement des matières capter, cueillies, d’en faire œuvre, même si pour moi la marche est déjà une construction géographique et sensible faisant œuvre, dans l’écriture des sons glanés ou de des parcours définis.
Moyen ce créer des formes artistiques puisant dans le terroir sonore, installations environnementales mobiles, discrètes, éphémères, en tous cas non envahissantes, non surenchère, et toujours pensées à l’échelle acoustique du lieu et des idées et actions écologiques prônées.
Le field recording, dans un version verte, est un outil de médiation, de sensibilisation, parfois état des lieux circonscrit, parfois un révélateur de catastrophes en chantier, parfois montrant des exemples de lieux calmes à préserver, à fabriquer, à penser en amont d’une urbanisation trop fonctionnaliste.
La prise de son permet de collecter des datas, dans des systèmes géomatiques , de dresser des états des lieux, même fragiles car très fluctuants en ce qui concerne le sonore, de dessiner des cartes, quelques soient leurs formes et leurs visées.
Sur des approches territoriales, avec des regards et préoccupations écologiques, si ce n’est écosophiques pour reprendre une idée force de Félix Guattari, les marches d’écoutes et le field rcording s’accordent à décrire-écrire des paysages sensibles, esthétiques, mais aussi sociaux, intrinsèquement politiques. Paysages/territoires où la place de l’homme écouteur/producteur, au sein d’un environnement chaotique et d’un avenir des plus incertains, est remise en question par l’écoute des milieux ambiants. Milieux dans lesquels l’homme n’est pas, plus, au centre de tout, et encore moins au-dessus de tout, mais comme un maillon de la chaine du vivant, aussi sinon plus fragile que les autres. On parle bien ici de milieu.
L’art (vert), fut-il sonore, doit, pour des questions éthiques, garder une approche raisonnée, rester humble, et surtout à portée d’oreilles de tout un chacun, dans une période où l’artiste, et citoyens non artistes, ont tout intérêt à se serrer les coudes, à se serrer l’écoute. Il nous faut mettre en commun ce qui sera profitable au plus grand nombre. Décaler la perception sans la couper, bien au contraire des menaces ambiantes, des crises en cours et à venir. Ne pas céder à un catastrophisme mortifère, mais garder en tête tous les problèmes majeurs qui nous assaillent, et dont l’art, à défaut d’échappatoires ou de remèdes miracles, peut apporter quelques modestes solutions quand au bien ou mieux vivre ensemble.
Ce n’est pas je pense une visée écologique fleur bleue, mais une volonté de garder une forme d’humanité à l’écoute de l’autre comme de soi, à l’écoute du monde, ou plutôt de l’Humanité, qui de tout temps, aujourd’hui sans doute plus que jamais, s’avère vacillante et bien fragile.
A reblogué ceci sur POINTS D'OUÏE, PAYSAGES SONORES PARTAGÉS.