Je vais vous parler ici d’un « lieu » au sens large du terme, qui rassemble un site internet et un espace non virtuel, lieu de pratiques pédagogiques et de réflexion autour de la création sonore, en l’occurrence l’ École Nationale Supérieure d’Arts de Bourges. Établissement dans lequel je suis d’ailleurs intervenu avec des post-diplômes en création sonore, autour de la notion de Balades sonores et autres parcours d’écoute.
Cet espace – Atelier sonore d’esthétique, à la fois physique, médiatique, et internautique, est construit autour de travaux d’étudiants, essentiellement sonores, sous la houlette d’Alexandre Castant, professeur à École Nationale Supérieure d’Arts de Bourges, essayiste et critique d’art.
Pour mieux saisir l’enjeu du projet, voyons la présentation faite sur le site concerné.
« Ce site regroupe les pièces sonores réalisées, chaque année depuis 2005, par les étudiants de l’École nationale supérieure d’art de Bourges (années 1, 2, 3, 4 & 5), et dans le cadre de L’Atelier sonore d’esthétique, un séminaire de recherche esthétique en création sonore d’Alexandre Castant, professeur d’esthétique et d’histoire des arts contemporains à l’Ensa.
Les pièces sonores produites dans le cadre de cet atelier excèdent la question des registres et des genres : fictions radiophoniques, documentaires de création ou compositions musicales, elles participent donc d’une écriture sonore très ouverte. En revanche, chacune et sauf exception d’un format court de moins de dix minutes environ, fait la description, le commentaire subjectif ou l’analyse sémiologique avec des sons ou la voix, d’une œuvre d’art, toutes disciplines artistiques confondues, relevant du patrimoine, ancien, moderne, contemporain ou actuel. Les sons, alors appréhendés pour leurs potentialités signifiantes, permettent de faire se refléter dans la pratique sonore une histoire de l’esthétique. Inversement, au fil du temps, ces pièces constitueront une petite encyclopédie, subjective, artistique et audio, de l’histoire des arts.
Parallèlement, cet atelier part du principe que, au regard d’un essai de définition du son et d’un parcours dans les correspondances esthétiques, l’histoire du son dans les arts plastiques, mais aussi dans l’histoire de la radiophonie et du cinéma, constitue aujourd’hui un territoire autonome de la création. Ainsi, des expériences du Père Castel au XVIIIième siècle jusqu’aux sculptures sonores et à Fluxus, l’écoute et le voir ont toujours interrogé autrement l’espace et le temps, les configurent et les donnent à lire en les renouvelant. Espace pédagogique et de recherche, L’Atelier sonore d’esthétique prend acte de cette réalité artistique et s’en nourrit constamment.
Dans cette perspective, ce site est pourvu d’une page Bibliographie qui, outil aussi bien que lieu de débat en devenir, sera enrichie avec le temps. Enfin, ce travail de création sonore des étudiants ne serait pas abouti s’ils n’était pas diffusé. Outre la diffusion publique qui, chaque année, a lieu dans la Salle d’Écoute de l’Ensa, outre un Cd également réalisé pour chaque session de travail, ce site donne à entendre en accès libre la nature de ces travaux. De plus, et pour toutes les raisons dites, la programmation de festival d’art sonore, comme la présentation de ce type de recherche dans des galeries, des musées, des écoles d’art ou des universités nous a conduit a créer la page Diffusion qui met à jour l’actualité vivante de cet atelier, où la création sonore est aussi conçue comme une synthèse de l’art et une pratique esthétique.
Alexandre Castant
Ces travaux ont donné lieu ce jour à des Stations, 23 à ce jour, courant de 2005 à 2019, autour de thématiques très variées, de formes médiatiques libres, mêlant textes, images, sons, selon les mises en forme éditoriales choisies. Elles sont encadrées par différents artistes, enseignants, exercices de style, peut-être un chemin de croix(sement), nous offrant un panorama singulier et très personnel d’une création sonore élargie et singulière. Les Stations, pour être en quelque sorte validées sont diffusées non seulement dans l’école, parfois accompagnées de conférences, mais également via des CD, et installations dans des festivals d’arts sonores tels City Sonic…
Parmi les thématiques, des focus sur des pratiques et esthétiques d’artistes, de courants, d’expériences, on trouve un grenier d’abondance où créateurs sonores, plasticiens, radiophonistes, programmateurs et curateurs, philosophes, et surtout des élèves, croisent les idées, des approches personnelles, donnant une vision kaléidoscopique, je reprends leur propre terme, sans se départir d’une exigence pédagogique convoquant rigueur éditoriale et joyeuse curiosité.
Une biographie et petite bibliothèque viennent compléter ces ressources online.
Un exemple avec la Station#23
Pour illustrer ma présentation, je prendrai une production en ligne, la Station #23 consacrée à Philippe Franck, entretien(s) avec Alexandre Castant sous la thématique « Faire des albums curatoriaux ». Question pertinente et finalement rarement traitée; comment rassembler parfois l’a priori inassemblable pour tenir un discours au final cohérent, mêlant des genres très différents, dans un patchwork somme toute très jouissif.
J’évoquerai tout d’abord différentes raisons à ce choix personnel. En premier lieu, chronologiquement, c’est la dernière publiée en 2019, d’actualité dirait-on. Ensuite, Philippe Franck est devenu, au fil des ans, un partenaire compagnon de route et ami, via City Sonic, la Sonic Radio, et aussi par d’autres projets, et de nombreux échanges et croisements que nous entretenons régulièrement depuis déjà quelques années. Il est donc pour moi assez logique que je prenne cette Station en référence, d’autant plus que le sujet de la curation éditoriale pose une problématique singulière. Pas de réponse définitive ici, posture d’ailleurs périlleuse à l’heure de la mixité galopante des genres, mais un panel de propositions, d’expériences, de questionnements.
Station#23 est donc un pièce audio, mêlant entretiens et illustrations sonores et musicales de 94 minutes. On ne sait plus trop d’ailleurs quel qualificatif adopter devant l’hybridation, l’esthétique de travers des compositions donner à entendre.
Pourquoi le son ?
Intéressante et vaste question posée d’emblée, lors de la venue de Philippe Franck à l’ENSA de Bourges, et qui sert ici de support à une sorte de fil autobiographique, audioblographique pourrait-on dire.
Nous évoluons dans des mouvances rock et surtout post rock, punk et et post punk, pris ici comme des repères, parfois des musiques de travers, souvent inclassables, donc inclassées…Une génération Seventies – Eighies, via l’expérience de Philippe Franck qui, guitare et stylo en main, va ouvrir progressivement des portes aux arts sonores actuels. Les arts sonores, courants d’arts qui s’échappent souvent de notre sens critique, à chaque fois en tous cas que l’on croit leurs avoir trouver une définition satisfaisante.
Des formes de curation donc, d’éditions, de festivals, à la recherche d’un improbable mais passionnant bain sonore et numérique sans cesse en ébullition. Les années 70/80, leurs expériences parfois chaotiques, qui ne cessent de se chercher des adjectifs, ce qui en dit long sur les incertitudes critiques et classificatrices – musiques ou formes innovatrices, inclassables, inouïes, improvisées, expérimentales, novatrices, post… La richesse, parfois débridée, entre musiques « classiques », contemporaines, populaires, du monde… montre les méandres de la création sans cesse réactivée par des emprunts, remixes, brassages, hybridations parfois des plus hétéroclites, dans leur incroyable fécondité sonifère.
Les illustrations sonores de cette Station#23 nous le montrent bien, où en tous cas nous le font bien entendre.
Les labels, dont Sub Rosa, une référence Bruxelloise légendaire incontournable, et une curation façon Cinéma pour les oreilles, dans une certaine Belgitude bouillonnante, confirment cette vitalité d’un brassage audio, au sens large du terme.
L’interdisciplinaire et la transdisciplinarité via le son, sont d’emblée au rendez-vous. Le son, et ses médias associés, sont dés lors posés comme des rassembleurs, à l’instar d’autres expériences sensibles, où se brassent sonore, plastique, poésie, littérature, mixed-media et autres performances au contours mouvants.
Le son s’échappe ainsi des salles de concert comme des lieux d’exposition d’art contemporain, gagnant ainsi une intimité, une proximité, une liberté, une convivialité hors des espaces hyper médiatiques, des lieux de création et de diffusion attendus. C’est en tous cas me semble t-il, un des grands paris que tient Philippe Franck quand à la programmation du festival City Sonic, et aux choix des lieux comme un parcours sonores dans la ville nous emmenant dans différents endroits parfois très inattendus, du bâtiment officiel à l’intimité d’un jardin, en passant par une galerie marchande, un magasin… Une curation qui va rencontrer un public qui n’oserait peut-être pas pousser la porte d’un salle de concert ou d’un musée, mais qui accueille avec curiosité une pièce radiophonique ou une installation dans une galerie marchande.
Tout cela, ce brassage nourris de moult références, notre curateur post rock est intarissable, à travers le prisme de la vie hautement musico-plastico-sonore de Philippe Franck, est forcément marqué de certaines affinités totalement subjectives. La subjectivité assumée étant généralement le propre d’un curateur programmateur digne de ce nom. Ajoutons ici que que, au-delà de son travail de curateur historien de l’art, de critique et producteur, fondateur de Transcultures, Centre interdisciplinaire des cultures numériques et sonores, et du Festival international des arts sonores City Sonic, notre infatigable activiste est aussi musicien compositeur. Il travaille sous le nom de Paradise Now, croisant moult expériences sonores, plastiques, poétiques et rencontres, pour la scène, la vidéo, la danse, notamment avec la performeuse Isa Belle et bien d’autres artistes, producteurs.
Le texte accompagnant l’entretien audio sur le site « Re/territorialisations résonnantes », est issu d’un article que Philippe Franck a écrit pour la belle revue Québécoise Inter – dossier « Nouveaux terroirs, réinventer les territoires », n°131, printemps 2019…. Il a été remanié et étoffé pour la circonstance. Dont un chapitre très sympathique autour des parcours sonores, et des PAS Desartsonnants. N’étant pas ici pour ma propre auto-promotion, j’apprécie néanmoins que mon travail soit présenté avec un regard extérieur pertinent, qui finalement me donne un peu de recul sur mes productions et activités, souvent menées la tête dans le guidon, comme diraient des cyclistes Belges
Les stations étant très différentes des unes aux autres, cette Station#23 est donc un choix très personnel, non représentatif de l’ensemble des productions de l’Atelier d’esthétique sonore, dont je vous invite à parcourir les différents opus très diversifiés, en ligne ici : https://ateliersonoredesthetique.ensa-bourges.fr/