LE BRUIT DANS LA VILLE
Le colloque de l’an 2010 du Master 2 Villes et Territoires
Introduction au colloque
Auparavant délaissé, le thème du bruit s’impose en effet comme une problématique urbaine d’intérêt récent pour les chercheurs et ingénieurs. Parmi les cinq sens, géographes et architectes ont longtemps privilégié la vue (au travers de l’analyse paysagère/recherche de formes urbaines « originales »), le toucher (relation ville-campagne/invention de nouveaux matériaux), et il y a peu le goût au festival international de la géographie de Gérardmer en 2004.
Alors que se profile la recherche d’une ville plus généreuse, « sensuelle » et durable (Cf Place Publique n°22, juillet-août 2010, « Villes sensibles, villes sensuelles »), l’ensemble des urbanistes se tourne désormais vers l’ouïe. Le bruit apparait à la croisée des chemins entre les problématiques géographiques, architecturales et juridiques.
Finalement, qu’est ce que le bruit dans les villes ? Est-ce une nuisance ou une ambiance urbaine ? Ou est-ce que le bruit dans la ville est les deux à la fois ? La première table ronde regroupant des intervenants d’horizons différents va essayer de cerner et de voir comment le bruit peut être perçu et caractérisé dans le milieu urbain par les acteurs qui font aujourd’hui la ville (du simple citoyen à l’urbaniste aménageur – table ronde 1).
Plus précisément, cet essai de définition s’accompagne d’une description du bruit, dans sa mesure et dans son interprétation, afin de voir l’utilité de la modélisation et de la cartographie acoustique, de comprendre pour quel utilisateur la conçoit-on, et enfin vers quels usages et quel renouvellement de l’aménagement sonore urbain sert-elle.
Pour faire le lien avec la deuxième partie de la journée, une intervention soulignera que la prise en compte des contraintes du bruit dans l’aménagement d’infrastructures urbaines n’est pas sans conséquences sur la conception et les usages associés, et peut faire l’objet de conflits localisés entre les collectivités locales, l’Etat et la population.
Ainsi, intégrer la problématique du bruit dans l’élaboration des projets urbains entraîne des changements de comportement dans la conceptualisation de la fabrique urbaine, et dans les différents types d’ambiances générées.
Actuellement, comment est traitée cette problématique au niveau de la planification urbaine des villes françaises, en particulier à Nantes ? Les aménageurs envisagent aujourd’hui la ville sonore dans son ensemble ; c’est autour de cette idée que s’animera le débat de la seconde table ronde (table ronde 2).
La journée sur « le bruit dans la ville » se termine par un débat décomposé en deux temps. D’une part, un exemple architectural plus précis sera développé. Il s’agira à la fois d’observer la façon dont un bruit précis peut être pensé dans la construction d’un projet urbanistique et architectural, et d’en comprendre les implications opérationnelles.
D’autre part, résultant de la mobilisation continue de la formation du master 2 « Villes et Territoires – promotion 2009/2010 » autour de cette problématique, un des travaux étudiants vous sera présenté. Un des projets urbains élaborés à l’occasion des ateliers, valorisera donc la démarche de projet et la traduction opérationnelle retenue à l’issue de celle-ci. Enfin, une vidéo du voyage de la formation sur le bruit dans les villes d’Europe du sud, à Lisbonne et à Porto, sera diffusée pour clôturer cette journée.
La guerre des ondes
La crise de l’espace sonore
par Christophe Noraz, étudiant en Master 2 Villes et Territoires
A l’instar de l’apparition du téléphone portable et du baladeur mp3 dans la sphère de l’espace public, l’irruption critiquée de la « vuvuzela » dans les stades de football offre l’occasion de repenser certaines pratiques de l’espace urbain, en mettant en perspective la qualité du paysage sonore dans la fabrique auditive de la ville d’aujourd’hui.
Il n’existe donc pas de société sans musique, et toute musique est à considérer comme le mélange entre tradition et expression d’une époque : elle est une empreinte sonore du contexte dans lequel elle s’inscrit.
Et si, aujourd’hui, espace urbain rime souvent avec espace bruyant, le bruit, sous toutes ses formes, dans toute sa richesse, constitue un paysage sonore qui est une dimension incontournable de la ville, une de ses grilles de lecture.
Parler du paysage sonore, c’est donc évoquer une certaine harmonie, une certaine cohérence, voire même une certaine musicalité. Mais c’est également révéler une partie du foisonnement inhérent à la ville. Chercher à clarifier le paysage sonore revient à en éliminer les perturbations donc la complexité, et donc finalement une partie de la richesse.
S’il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, malchance et fatalité font souvent que ce que l’on entend n’est généralement pas ce que l’on veut…
C’est là le lot du monde sonore, souvent subi et rarement choisi, souvent entendu mais rarement écouté. Qui prend le temps de l’écouter, le décortiquer, le comprendre ? Il devient de plus en plus difficile de ne plus seulement « entendre », mais bien « d’écouter », donc de manière consciente et attentive, à une époque où nous sommes de plus en plus assaillis par des vagues d’ondes de toutes sortes et de toutes origines.
On peut vivre un concert de musique « hard rock » de deux façons radicalement différentes : on peut s’en nourrir, l’appréhender comme une expérience énergisante, ressourçante et bénéfique, ou au contraire s’en protéger, le considérer comme nuisance, le supporter comme un moment éprouvant voire insupportable. Donner du sens à un son, c’est le considérer, l’interpréter, le qualifier, c’est l’apprivoiser pour le rendre « audible ». C’est une question de disposition liée à l’histoire culturelle individuelle, mais également une affaire de choix, d’affinité voire de tolérance. Pour ainsi supporter la présence des vuvuzelas, il n’est que trois options : apprendre à l’aimer, se couper du paysage sonore, réussir à en faire abstraction.
S’isoler des bruits extérieurs est aujourd’hui devenu une chose relativement simple grâce à la multiplication des casques « fermés » (coupe-sons, isolants aussi bien de la réception des bruits extérieurs que d’une possible émission).
3 citation tirée de l’exposition « l’air du temps » (jusqu’au 26 septembre 2010 au Musée d’Ethnographie de Genève) qui propose une réflexion sur les rapports entre musique(s) et société(s), de la musique comme écho de la diversité culturelle et partie intégrante de toute société. S’appuyant sur des supports éclectiques (musiques villageoises d’antan, chansons tsiganes modernes, musiques populaires de Roumanie, le monde des « tubes », etc.) cette exposition entraîne le visiteurs à travers un dédale de salles obscures où sont présentés vestiges d’instruments et de disques, le tout sur des fonds sonores de musiques populaires interactifs, en cherchant à identifier ce que les différentes sociétés appellent « musique ».
L’objectif poursuivi est la négation de l’intégralité du paysage sonore afin de pouvoir s’immerger dans un environnement que l’on choisit, peuplé alors de nos seules pensées. Pour supporter ce face à face avec soi, il devient d’usage de lui associer une source sonore (radio ou musique) qu’il
va s’agir de pouvoir entendre le plus distinctement possible par rapport aux bruits de la rue : on se coupe du bruit pour mieux pouvoir en rajouter… Et c’est dans ce sens que nous poussent les dernières évolutions technologiques de l’industrie audiovisuelle, concentrés de puissance acoustique sur commande4.
Si le silence (absolu) n’existe pas, et si celui-ci n’est certes pas synonyme de confort, nous fait-il si peur pour que l’on ait besoin d’écouter de la musique en permanence, même pour dix minutes debout au milieu du fracas d’un tramway ?
« La véritable musique est le silence », disait Miles Davis, est-ce un sentiment propre à notre époque, cette sensation de déboussolement, d’isolement, de solitude dans l’immensité de la ville, qui conditionne notre attachement à ces musiques si rassurantes dans leur écoute à la demande, cette connexion instantanée à un monde qui nous est propre ?
Le téléphone portable, lui, va encore plus loin : il permet d’être à la fois dans l’espace physique (mais déconnecté, de façon inattentive) et dans l’espace virtuel, dans le lieu immatériel et bien difficilement localisable d’une conversation téléphonique avec l’autre. Non seulement il rassure mais il affiche publiquement une existence sociale en bonne et due forme, il révèle un lien : je ne me contente pas d’écouter de la musique mais par cette conversation, je revendique mon appartenance et marque mon lien d’intégration à la société.
S’isoler de l’univers proche et se réfugier dans un monde – imaginaire ou non – mais un monde à soi. C’est la construction d’un entre-soi temporaire, une errance entre espace physique et espace virtuel, un agencement hors du monde…
Reste alors l’abstraction naturelle, cette capacité qui nous permet d’entendre (ou de voir) uniquement ce que l’on veut (ou ce que l’on ne veut pas). C’est l’utilisation d’une disposition naturelle, physiologique, humaine… abstraire, c’est refuser, donc combattre, donc entrer dans le domaine de la lutte5… la dernière ressource de la liberté…
Dans une ville aux limites de plus en plus estompées, l’espace sonore se diffuse et se dilue comme l’espace virtuel.
Comme le vuvuzela, l’environnement urbain contemporain agresse le paysage sonore, le sature et élimine la richesse de ses ambiances, le sollicitant continuellement par un trop-plein de signaux sonores et brouillant sa perception. Si le bruit est un révélateur de l’existence d’une vie urbaine, la construction d’une ambiance urbaine ne peut se faire que par un environnement sonore de qualité. Comme le cri des mouettes évoque la présence de l’océan, celui des vuvuzelas nous rappellera désormais l’ambiance frénétique des stades de football sud africains…
2 Schaeffer Murray, Le paysage sonore. Notamment l’idée selon laquelle le paysage sonore s’organise selon un bruit de fond d’une certaine nature (qu’il appelle « tonalité ») des sons de premiers plans de natures différentes, qui se détachent comme des figures sonores (qu’il nomme « signaux ») et une construction culturelle (qu’il identifie comme « empreinte »).
5 référence à Michel Houellbecq dans « L’extension du domaine de la lutte », et cette perpétuelle tension, ce choix toujours renouvelé du balancement entre le domaine de la règle et celui de la lutte…
6 ou du moins, la pensée de ce mode de fonctionnement, exacerbé par le développement des technologies de communication qui accroissent et multiplient les résidences de l’espace virtuel, à l’heure où l’espace public urbain construit se réduit. Voir à ce sujet l’excellent essai de Marcel Hénaff sur la disparition du modèle urbain classique, l’émergence (ou le renforcement) de nouvelles variables de la condition urbaine, et la crise de l’espace public de la ville contemporaine (Hénaff Marcel, La ville qui vient).
Intervenants
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Gérard Lefèvre est directeur du Syndicat Mixte d’Etudes de l’aéroport Notre-Dame-des-Landes depuis 2008. Auparavant, il travaillait à l’AURAN (Agence d’Urbanisme de l’Agglomération Nantaise).
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Pascal Amphoux est fondateur et directeur de CONTREPOINT, Projets urbains, Lausanne, bureau d’études et de projets architecturaux, urbains et/ou artistiques).Professeur à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes (ENSAN).Auteur de nombreux ouvrages et publications scientifiques portant notamment sur les rapports entre la pratique du projet, l’esthétique paysagère et les méthodes des sciences sociales. Chercheur au Centre de Recherches sur l’Espace Sonore et l’Environnement Urbain (CRESSON, ENSAG, Grenoble, UMR CNRS). Membre du conseil scientifique EUROPAN Europe. Membre du conseil scientifique de la consultation internationale « Le grand pari de l’agglomération parisienne ». Expert auprès de diverses institutions suisses, françaises ou européennes.
Trois projets récents
Pour l’articulation entre recherche et conception architecturale
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