MUSIQUES EN SCÈNES 2014 – GRAME INSTALLE LE SON !


MUSIQUES EN SCÈNES 2014

GRAME INSTALLE LE SON !

HEINER-AFFICHEMusiques en scène, biennale autour des musiques et expressions sonores contemporaines, cherche, tant par le concert que par des dispositifs scéniques installés, des traitements électroniques, multimédias, des performances, à présenter de nombreuses facettes de véritables scénophonies.

Cette année tout particulièrement, le programme, concocté par Damien Pousset, délégué artistique à la Biènale Musiques en Scènes, en tout cas ce que j’ai pu en voir et en écouter est riche.

 Première Visite, celle du MAC (Musée d’art contemporain) de Lyon, pour une exposition dont le titre en dit long « Listen profoundly) Ecouter profondément.

Bénéficiant d’une visite « spécial bloggers, nous avons pu profiter en pré-ouverture de cette exposition, commentée par Thierry Raspail, le directeur du MAC. Il est vrai que le musée est un des rare en France à s’intéresser aux arts sonores, et à posséder une belle collection d’œuvres, dont la célèbre Headphone Table de Laurie Anderson et Empty Vessels d’Alvin Lucier…

Le Mac a d’ailleurs produit pour le centenaire de la naissance de John Cage une exposition ambitieuse autour de ce musicien et penseur du son/silence hors norme, installé à différentes reprises la Dream House de La Monte Young,et auparavant accueilli plusieurs belles expositions d’arts sonores dans le cadre des Musiques en Scènes précédentes.

Petite digression, nous avons eu droit, lors de la visite, commentée par Isabelle Bertoldi, coordinatrice, à celle concomitante « Motopoétique » consacrée à … La moto, d’après une proposition de Paul Ardenne. Plein de motos, d’images de vitesse, de mort, de séduction, de mécaniques assez fascinantes, de sons (suggérés, reconstruits…), de paysages et road movies, de rêve, d’humour, de peurs sous-jacentes, de motopoésies… Un beau parcours, même pour un parfait néophyte. Cela m’a rappelé des sons, les feulements nerveux d’un 750 Kawa d’un maître nageur fondu de vitesse, ou ceux plus ronronnants de la BMW d’un surveillant épris de grands voyages… Un voyage motogrisant, motorisant et m’autorisant à la surprise d’un périple inattendu.

Revenons à nos sons installés.

Trois espaces de monstration au 3e étage, dont deux en écoute, composaient l’exposition produite par la BMES (entendez par là la Biennale Musiques en Scènes).

morton_feldman_1976Un premier n’offrait que des  dessins, calligraphies –  partitions-graphiques de Morton Feldman, incontournable compositeur américain, ami de John Cage et figure incontournable de « L’école New-yorkaise ».

Ces partitions, bien que pouvant questionner le néophyte par leur aspect austère, minimaliste oserais-je dire, n’en sont pas moins très intéressantes pour comprendre comment la représentation de dynamiques, de timbres, d’agencements sonores écrivaient de nouvelles formes de musiques, et en précisaient leurs interprétations.

Le point culminant de cette présentation de l’œuvre de Feldman fut l’exécution, dans la foulée du vernissage, du second quatuor à cordes, dont la durée est comprise entre 5 et 6 heures de musique ! Voilà pourquoi sans doute, au regard de la performances exigées des interprètes et des auditeurs, à l’instar des Vexations d’Eric Satie, cette œuvre fleuve est très rarement jouée. Retenu par d’autres obligations, je n’ai malheureusement pas pu assister à cette représentation qui fut apparemment un temps assez grisant dans ce déroulé à la temporalité hypertrophiée, ce flux musical magistralement dompté ce soir la par le Quatuor Béla.

startbild-neuDeuxième espace, un écran de projection sur lequel on peut voir et entendre deux œuvres d’UlF Langheinrich, co-fondateur du célèbre duo Granular-Synthesis  en 1991 avec Kurt Hentschläger. Cet artiste travaille depuis quelques années en solo, créant nombre de pièces minimalistes, immersions, jouant sur des projections sonores étirées sur fond d’images 3D.

La première, Music 1, nous présente un portrait africain, où les sons enregistrés ont été considérablement ralentis, étirés à l’extrême, soumis à des traitements de synthèses granulaires, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’une trame quasi intangible, sorte de poussière sonore et visuelle totalement abstraite. Ces quarantes minutes d’immersion, où l’on regarde de longues bandes visuelles distendues par le prisme de lunettes 3D, peuvent déconcerter un visiteur par une certaine austérité, un son qui évolue lentement, à l’instar des images abstraites en noir et blanc. Néanmoins, pour qui fait l’effort de se laisser porter par ce lent flux, un effet liée à une hypnotique lancinence nous emporte dans une sorte de rêve éveillé, un état proche de certains courants psychédéliques aux longues mélopées envoûtantes.

Nous avons d’ailleurs bénéficié d’informations très intéressantes, tant sur le plan esthétique, technique, que sur les réseaux de production et de diffusion, par Richard Castelli, curator et producteur des œuvres de Langheinrich présentées dans cette exposition.

La seconde pièce est Land IV. Là aussi, un paysage abstrait, sonore et visuel, nous est reposé, travail tiré de l’exploration d’une plage du Ghana à l’origine, bien que dans cette œuvre également, tout représentation figurative, narration identifiable ou autres anecdotes soient totalement gommées par des multiples traitements granulaires, entre autres. Par contre, le son plus tonique, et les images également plus dynamiques que dans Music 1, font que ce paysage est beaucoup plus facilement accessible au public. D’ailleurs sa construction assez structurée en mouvement distincts, formes géométriques, granulations, stroboscopie… aident à entrer dans cette œuvre, où la 3D y est aussi beaucoup plus marquée, favorisant une immersion de 20 minutes là aussi assez hypnotiques.

Autres lieux, autres installations

Jardin des sons de Jean-Batiste Barrière au Musée Gadagne

Jardin-des-songesIl faut, pour alimenter le dispositif, lui donner nos rêves, soit par un lieu attenant à l’installation, soit via internet. Ces rêves, portraits des rêveurs en sons et en images seront radicalement transformés par quelques savants programmes numériques, jusqu’à en être réduits à des sortes de traces ectoplasmiques, aussi abstraites qu’éthérées. L’installation, sous forme d’un écran situé dans une salle assez étroite, va s’animer, se transformer, convoquer des rêves, ou des bribes de rêves malaxés, dans une imagerie colorée, fluide et mouvante accompagnés  sonorités elles-aussi fugitives et insaisissables. La présence du spectateur, ses gestes et mouvements intéragissent avec le dispositifs et modifieront donc l’apparition et la transformation de rêves.

J’ai hélas vu cette installation, qui de par son sujet et l’intimité qu’elle suscitedemande des conditions d’accès assez calmes, le soir du vernissage, où le nombre de personnes présentes ne permettaient pas de vraiment se rendre compte de l’emprise, plus ou moins contrôlée, que l’on pouvait avoir sur cette installation. Je reviendrai donc la voir, et l’écouter, dans un moment plus calme et plus propice.

 

Time Passing trough Travel, de Iuan Hau Chiang, au CAUE du Rhône

I-went-to-the-HouseMod(1)L’artiste Taïwanais Iuan Hau Chiang ayant effectué une partie de ses études à l’Ecole Nationale des Beau-Arts de Lyon n’est donc pas dépaysé de ce retour aux sources, à deux pas de son ancienne école, dans les modaux du CAUE. Sa création est d’ailleurs co-produite en collaboration avec GRAME, les Beaux-Arts en partenariat avec  le CAUE du Rhône (Conseil d’Architecture, d’urbanisme et d’environnement).

Le propos de l’œuvre est lié principalement aux ambiances lumineuses. Quels rapport l’homme entretient-il avec la, les lumières, les ombres, les clignotements, les scintillements, l’obscurité parfois, ou les éclairs, l’éblouissement, l’architecture, l’urbanité… ? On pénètre en effet dans une salle obscure où sont installées 49 mini-tours lumineuses et sonores, quadrillant un vaste carré, à la façon d’un d’urbanisme froidement agencé, dans une stricte géométrie que certaines villes « modernes » affichent. C’est un espace, une ambiance apparemment issus d’un design fonctionnel et rigoureux. Cependant, lorsque les lumières se mettent à vivre, à se déplacer, à dessiner des figures ou ligne fugitives sur ce grand damier posé au sol, une incroyable poésie opère très vite sur le spectateur qui assiste à moultes transformations de l’espace, via les jeux et rythmes des lumières.

Et le son me direz-vous, puisque nous sommes dans une biennale de Musiques en Scène ? Il est bien présent, finement présent, tissant lui aussi des trames concomitantes à celles lumineuses, dialoguant avec l’espace, avec les ombres et lumières. Un travail d’écriture ciselée qui conforte la poésie de l’œuvre, sans chercher à s’imposer. Sons et lumières tissent une scène sans cesse en mouvement qui, à l’instar d’un paysage, se reconstruit constamment, notamment par la présence de l’homme.

Le soir du vernissage, une pièce chorégraphique, dansée par une jeune élève du Conservatoire Nationale Supérieure de Musique et de Danse de Lyon, et travaillée en  avec l’artiste, venait ajouter une présence humaine elle aussi toute en délicates nuances. La danseuse conférait à l’installation un caractère véritablement habité, l’humain au centre des architectures sonores et lumineuses, humain qui d’ailleurs, à certaines phases de la danse, venait intéragir avec l’installation grâce à des capteurs de mouvements placés aux poignets de l’artiste.

Sans doute avez-vous compris que cette œuvre m’a séduit, charmé par son esthétique, sons discours, sa sensibilité, et que je la recommande vivement à tous publics.

Un début de Musiques en scène prometteur, des sons et images joliment installés qui dialoguent avec non seulement la scène « classique » mais aussi d’autres espaces qu’ils font sonner, à voir et à écouter.

Il me reste encore, côté installations, « Unfolding Taïpe » d’Anne-Sophie Bosc, à découvrir à la Galerie BF 15.