Les arts sonores sont-ils environnementaux ?


J’aborderai ici, de nouveau, des problématiques ou l’art sonore visite, fait entendre des espaces aussi beaux que fragiles, inspirants, menacés, dégradés…
Il devient parfois partisan, défendeur, lanceur d’alerte, voire pédagogue.
Il s’engage, donne de la voix, résiste, sensibilise, milite, pour défendre des milieux qui lui sont chers.
La crise environnementale galopante, l’épisode Covid, font que la conscience des fragilités de nos écosystèmes, et par-delà de nos vies, amènent des artistes à questionner en les auscultant, des espaces paupérisés, si ce n’est sinistrés.
Certains artistes , tels ceux des débuts du Land art, œuvrent depuis longtemps à nous alerter sur l’obligation de prendre soin de nos milieux ambiants.
Aujourd’hui, des projets internationaux tels que COAL (Coalition pour une écologie culturelle), je les cite « accompagne l’émergence
d’une nouvelle culture de l’écologie et du vivant à travers des actions emblématiques telles que le Prix COAL, plus d’une centaine d’expositions, de programmes de territoire, la coopération internationale et le partage de connaissances… »
Néanmoins la création sonore est beaucoup moins présente que les arts visuels, plastiques…

Certaines pratiques, dont le Field Recording ou phonographie, l’enregistrement de terrain, in situ, avec des esthétiques parfois très différentes, constituent un terreau créatif très actif dans le champ du paysage et de l’écologie sonore (Murray Schafer) et de l’écosophie sonore (Roberto Barbanti).

Si le rapport arts sonores/écologie m’est cher, c’est que je suis moi-même impliqué dans des actions où le paysage sonore, notamment via les marches écoutantes ou PAS – Parcours audio Sensibles, font partie de mon quotidien. Par ces auscultations de terrain, gestes créatifs que je juge nécessaire, je pointe les aménités acoustiques, comme des formes de chaos sonore, de saturation, de paupérisation, voire de silences alertants.

Je présenterai ici quelques artistes, francophones, contemporains, et des travaux qui, de différentes façons, sous de multiples formes, donnent à entendre des milieux sonores fortement reliés a des territoires, des habitants, au sens large du terme, des éléments paysagers…
Cette liste n’est bien évidemment pas exhaustive et pourrait être élargie à de nombreux autres créateurs et créatrices. J’ai fait le choix, tout à fait personnel, de présenter des personnes que j’ai personnellement croisées, dont j’ai vu et entendu le travail, et avec qui, en règle générale, j’ai eu l’occasion d’échanger.

Éric Samakh

`Éric est un artiste qui, depuis longtemps, chapeau de baroudeur vissé sur la tête, fait chanter le soleil par des flutes éoliennes qu’il va suspendre hautes perchées dans les arbres, des pierres au détour d’un chemin, crée des zones de silence via une forêt de bambous…
Le rapport sons/nature est pour lui une évidence, ses œuvres en sont imprégnées.
Artiste et enseignant en école d’art, passionné de pêche (peut-être liseur de Brautigan), notre homme a promené ses oreilles et ses installations dans de nombreux lieux, pays, intérieurs et extérieurs, et est intarissable sur ses créations sonores, où le paysage à fleur de tympan est révélé comme une série de surprenants milieux sonores, ou silencieux.

http://www.documentsdartistes.org/artistes/samakh/repro.html

Alain Wergifosse

Alain a une truculence bonhomme à toute épreuve. Mais aussi l’art de bricoler des machines sonores, de fabriquer des images incroyables, de jouer des sons et des couleurs en mixant des formes de vie hybrides, techno-poétiques. C’est un personnage haut en couleurs, tout comme son œuvre. Vidéos et créations sonores se mêlent dans des installations explorant les ondes vibratoires, micro-organismes observées au microscopes, néons vibrants… Après un long travail autour des musiques bruitistes, expérimentales, en terres espagnoles, de retour dans sa Belgique natale, en partenariat avec Transcultures – City Sonic, il crée à tout va des univers où l’art, la science, la réflexion sur des vies audio macrobiotiques nous transportent dans des ailleurs proches.
S’il ne se définit pas comme un artiste environnemental, je pense que toute sa création porte un regard et une oreille aiguisée vers un monde tout en vibrations ambiantes, fragiles et résistantes à la fois, au cœur de nos espaces de vie

Jean Philippe Renoult et Dina Bird

Présentons ici un couple de créateurs sonores qui explore les champs radiophoniques, les grandes antennes émettrices, mais aussi un gazomètre, des ghetto blasters, transistors et autres câbles sous-marins. Entre phonographies, installations, performances, le duo explore de nombreuses situations d’écoute et de diffusion au fil des ondes, mais aussi via des conférences, workshops, et explorations in situ.
Jean-Philippe Renoult, versant journaliste, dans la revue en ligne Poptronic qu’il dirige, a également questionné, il y a quelques années, a pratique du « Field recording, un art écolo » ?
Quelques artistes, portés sur le micro, dont Desartsonnants, on joué le jeu des questions-réponses pour tenter de donner leurs point de vue (et d’ouïe) à cette tendancieuse interrogation.

http://bird-renoult.net/

Karine Bonneval

Karine est une plasticienne, entre autres, coutumière de l’écoute et de la chose sonore. Elle aime passionnément les arbres, les forêts, la végétation, et leurs consacre toute son attention, sa bienveillance, son bon soin. Elle écoute tout ce monde b(r)uissonnant, installe des objets pour entendre la vie dans les sols, se promène pour faire écouter, toucher, caresser les écorces, les herbes folles, de forêts en jardins. Son approche, résolument transdisciplinaire, conjuguant mondes sensibles, et domaines scientifiques, proche de la bioacoustique, de la botanique, l’emmène sur de nombreux territoires où la nature n’est jamais très loin. En ville comme en campagne, la voix des plantes inspire et nourrit une œuvre en dialogue avec les éléments, via un phytomorphisme qu’elle convoque volontiers.
La tête et les oreilles dans les arbres, mais aussi dans les sols nourriciers, Karine nous en fait entendre des nuances de verts, et d’autres teintes subtiles, colorant forêts et fourrés. L’oreille au vert…

https://www.karinebonneval.com

Bernard Fort

Un musicien, compositeur acousmate, et ornithologue passionné de la gente avicole, c’est ainsi que l’on pourrait qualifier Bernard, qui se reconnaitrait sans doute dans cette brève présentation.
Co-fondateur du feu GMVL (Groupe de Musiques Vivantes de Lyon), il a enseigné les musiques électroacoustiques à l’ENM de Villeurbanne, qui l’ont régulièrement ramené à son domaine de prédilection, les oiseaux. Ses nombreuses compositions, captations, les projets pédagogiques, l’ont amené à un travail singulier autour du paysage sonore, pluies et vents compris. Compositeur de musiques aux syrinx volubiles, il a donné, après Messiaen, une large audience aux oiseaux du monde, sous l’inspiration du grand preneur de sons Jean Roché. Avec lui, nous avons tendus les oreilles et micros, notamment dans et aux alentour de Cagliari (Sardaigne), dans un projet européen « Le paysage sonore dans lequel nous vivons ». Bernard tient également un blog remarquable autour… des oiseaux musiciens.

https://bernardfort.com

Nadine schultz

Architecte et acousticienne de formation, Nadine est une artiste plasticienne sonore, enseignante chercheuse, notamment autour des espaces architecturaux sonores. Il est difficile de résumer les champs d’action de cette activiste du sonore en quelques phrase.
Ses installations environnementales font sonner des structures de bois, des jardins sonores, des percussions installées… A cheval entre la composition électroacoustique, l’installation audio, la lutherie expérimentale, Nadine fait sonner les espaces publics et les donne à entendre… Autrement. La notion d’architecture sonore prend ici tout son sens, avec des recherches sur des espaces de diffusion spatialisés que n’aurait pas renier Max Neuhaus.

https://www.echora.ch

Stéphane Marin

Stéphane, instigateur et activiste d’Espaces sonores, promène ses micros dans de multiples lieux. Performances artistiques déambulatoires, siestes sonores, field recording engageant des réflexions sur le(s) statut(s) des paysages sonores, observatoires de sites acoustiques, compositions d’œuvres sonores paysagères, il développe tout un panel d’actions en mouvement. Le rencontrer est toujours une belle occasion d’échanger sur nos expériences personnelles, nos chantiers et réflexions en cours, nos lectures et coups de cœur.
Stéphane m’a invité, il y a quelques années déja, pour le tournage d’une émission On Air, à France Culture. Émission qu’il avait écrite et en grande partie montée, autour d’un promeneur écoutant (sur)nommé Desartsonnants. De beaux arpentages dans la Maison de la Radio, et ses alentours, sur le pont d’une voie ferrée de nuit… Une complicité qui tisse des écoutes et réflexions croisées depuis déjà pas mal d’années.

https://www.espaces-sonores.com

Julie Rousse

J’ai rencontré Julie sur les rives du Rhône, un peu au nord de Lyon, pour discuter de ce même fleuve, et des façons d’en parler, de l’écouter, de jouer de ses sons. Elle travaillait alors sur les ambiances sonores de ce cours d’eau, et en jouait les sons le soir-même sur une péniche. Son projet « Une voix parcourt le Rhône », entre Field recording, compositions, performances, installations et improvisations sonores l’a conduit à arpenter moult endroits, de glacier en méandres, pour construire un récit tumultueux de ce fleuve, superbe et inspirant territoire aquatique.
L’insatiable énergie de Julie Rousse à écouter et orchestrer un flot sonore important nous fait entendre mille histoires, expérimentations sonores dérivantes de rives en rives, pour le plaisir de nos oreilles rafraîchies.

https://julierousse.bandcamp.com/album/une-voix-parcourt-le-rh-ne

Denis Chartier

Denis Chartier, géographe, mais aussi artiste musicien, est intarissable sur son travail. Dans une approche résolument art-science, recherche-création, je l’ai rencontré autour d’une installation surprenante, « l’Assemblée », où la fermentation du vin se faisait entendre. Une interview à l’École du paysage et de la nature de Blois, dans le cadre de rencontres internationales « Inouïs paysages » relatait comment se révèlent à l’oreille des sons d’organismes vivants autour des vins des pays de Loire. Pétillements, voix, musiques, tout bouillonne doucement, dans une ambiance où Gaïa, la Terre Mère et ses multiples organismes vivants, ses levures, qui font chanter une musique inouïe. Le vigneron est un artisan attentif et attentionné à une matière active où le soin, le chant, la voix, nourrissent un terroir vivant. Nous entendons là des co-habitations entendues au prisme d’une pensée écosophique.
Une rencontre qui reste une très beau moment et irrigue à long terme ma réflexion sur le sonore, celui qui explore le vivant dans un récit peuplé de micro-organismes congénères.

Interview
https://archive.org/details/remi-chartier

Thomas Tilly

Thomas est un voyageur à l’oreille curieuse, et parfois furieuse. Il tend ses micros comme des instruments de composition, vers la matière, la terre, les vibrations, la glace, des accouplements de grenouilles dans un chaos vertigineux, et mille autres sonorités parfois assourdissantes, et parfois aussi ténues qu’un léger grésil. Adepte du Field recording (enregistrement de terrain), il compose des paysages complexes, dans des champs exploratoires de musiques expérimentales, non sans une militance affirmée face à tous les bouleversements environnementaux. Au fil de concerts performances ou d’installations sonores immersives, Thomas nous plonge dans des univers parfois ensauvagés, avec tout le côté physique, épidermique, de son œuvre, qui reflète ses engagements environnementaux et esthétiques pour le moins affirmés.

http://thomas.tilly.free.fr/tohome.html

Pali Meursault

Pali Meursault est un autre activiste invétéré. Brillant penseur, orateur et belle plume, il est également un preneur de son et compositeur qui promène oreilles et micros dans de multiples lieux. Pratiquant différents champs des arts dits sonores, il compose pour la radio, le cinéma, une production discographique, des installations, sans compter des textes qui prolongent ses écoutes (re)composées. Il collabore ainsi avec d’autres artistes, notamment Thomas Tilly, pour nous partager un travail singulier, nourri de musiques concrètes, de Field recording et d’une approche environnementale militante, construite sur de nombreuses expériences de terrain.

https://www.palimeursault.net/index.html

Caroline Boé

Caroline est une artiste sonore, chercheuse, qui a mené un travail de recherche création et la soutenance d’une thèse « Antropophony » autour des sons qui nous envahissent. Il est donc ici question de pollution sonore, donc d’écologie ou d’écosophie sonore pour reprendre les termes de Roberto Barbanti. Sur un site participatif dédié (Anthropophony); Caroline à invité des contributeurs à enregistrer et renseigner leurs bruits envahissants, parmi lesquels nous trouvons beaucoup de souffleries cliquetantes, aérations et climatisations, panneaux urbains et autres ronronnements de distributeurs en tous genres. Nous avons également parcourus à plusieurs reprises le centre de Marseille, son lieu de résidence, et un super marché d’Istres, à la recherche des sons envahissants, avec le projet de transformer ces résultats résidus sonores en objets de création, d’installations.

https://carolineboe.fr/
https://revues.mshparisnord.fr/filigrane/index.php?id=1104

Magali Babin

Magali est une musicienne artiste sonore montréalaise, dont le travail est très fortement marqué par l’espace public et la notion de paysages sonores. Elle a notamment travaillé sur des empreintes sonores de. différents quartiers, donnant à entendre des points d’ouïe amplifiés par le trio micro/enregistreur/casque. Une façon efficace d’installer l’écoute. Un autre projet, avec Chantal Dumas, « Villeray acoustique » est un dispositif d’écoute sans technologie aucune, juste un circuit piétonnier, à oreille nue, signalisé par une série de points d’ouïe, proposant des explications sur l’environnement contextuel. J’ai croisé Magali à Montréal, puis à la Saline Royale d’Arc-et-Senans et en forêt de Chaux, sans compter via quelques visions, et à chaque fois, comme il se doit, nous avons bien entendu parlé d’écoute(s), et de points d’ouïe.

https://magalibabin.com

Marc Namblard

Marc est un preneur de son passionné, et passionnant. Il fait partie de l’équipe des audionaturalistes, impulsée à l’origine par Fernand Deroussen (Sonatura) et quelques acolytes de la première heure. Il parcours son territoire vosgien micros à l’affut. Et bien d’autres encore. Pédagogue, promeneur écoutant et artiste sonore, Marc collabore à de nombreux projets où le paysage sonore se compose à portée d’écoute. Le film « L’esprit des lieux » montre, entre silences complices et écoutes partagées, son travail de défricheur sonore de terrain. Pour la petite histoire, je serais selon lui, le seul à l’avoir emmené écouter « des voitures » dans la cité nantaise…

https://www.marcnamblard.fr/Accueil

Michel Risse

Michel, infatigable écouteur et agitateur sonore public, est un vieil ami. Fondateur et directeur artistique de la Compagnie Décor Sonore, il a expérimenté, au gré de spectacles de rue, déambulations, installations, moult mise en espace sonore. De l’archéologie sonore en passant par des concerts de ville, des longues-ouïe kaléidophoniques, des parcours auscultés, des sons tombés du ciel, des monuments, transformés en gigantesques instruments de percussion, des mobiliers urbains joués… Michel ne cesse d’imaginer des situations d’écoutes théâtralisés, décalées, poétiques. Ces dernières viennent questionner la chose sonore, au sens large, dans l’espace public, ainsi que les postures écoutantes… Nous nous croisons parfois pour dialoguer en générale longuement, intarissables bavards que nous sommes, autour notamment des « théâtres d’écoute en espace public », je reprends ici sa propre appellation.

Site Décore sonore

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