PAS – Parcours Audio Sensible, des mots et des sons !
Gare aux oreilles…
Promenade écoute en duo autour de gare de la Part Dieu à Lyon
Contexte :
Deux promeneurs écoutants.
Une heure de déambulation silencieuse, dans le quartier de la gare de la Part-Dieu – Intérieurs extérieurs compris…
Entre chiens et loups, tombée de la nuit progressive, la majorité de la promenade s’est effectuée en nocturne.
Vendredi soir, 17H30, période de grande fréquentation.
Temps hivernal et humide, très changeant.
Pour un rendu, je décide d’écrire des impressions, des images, à partir de mots clés qui me viennent à l’esprit, de ressentis in situ et de la conversation qui suivit le parcours d’écoute.
Des mots et des sons
Rythmes : Souffles-respirations de trains, sifflets, bruits d’escalateurs, paroles, roulements de valises quasi omniprésents mais très variés, sur les pavés du parvis, les dalles de la gare… Que de rythmes ! Presque une musique, si ce n’en est déjà une. Juste une question d’écoute pour franchir le pas…
Flux : Tensions, détentes, hautes densités, calme, ou presque, une alternance de flux et de reflux, des nuées humaines compactes et de fluidités plus apaisées, de va-et-vient en constantes variations plus ou moins stressantes ou posées, des entre-deux dans un impassible continuum sonore…
Passages : De grandes places en allées serrées, de quais en escaliers, de ruelles en commerces, nous ne cessons de transiter, de passer d’un lieu à l’autre, d’intérieurs en extérieurs… Passages en fondus ou coupure brutales, sans transition, le parcours n’en finit pas de se créer des méandres, de prendre des chemins de traverse, d’une ambiance à l’autre.
Espaces : Les quais de gares comme de beaux plans sonores démultipliés… Du proche, du lointain, des plans intermédiaires, des mouvements travellings ou zooms, cinéma pour l’oreille, des réverbérations soulignant les profondeurs de champ… La vue et l’oreille se perdent, ce confondent en perpectives qui évoquent le voyage, intrinsèquement lié au lieu.
Impromptus et heureux accidents : Un enfant testant avec assurance des notes, du médium au grave, d’un piano placé dans un recoin de gare… Puis achevant son jeu par une série de vigoureux clusters, pour le peu très musicaux, intéressant mixage avec les voix ambiantes…
Un haut-parleur défectueux, qui filtre bizarrement, de façon très drôle, nasillarde, la voix des annonces SNCF… J’espère qu’il ne sera pas réparé trop vite, je l’enregistrerais volontiers.
L’absence d’un immense jet d’eau intérieur, rendu muet et occulté par une scène provisoire, et les sons qui se révèlent, se déploient dans l’espace, comme rarement on les entends ici, libérés de l’hégémonie aquatique qui les étouffe habituellement…
Un bruit assez indéfinissable, au départ, issu d’une manipulation à l’arrière d’un kiosque venant de fermer. Nettoyeuse d’une machine à jus de fruits… A-coups de moteur puissants, très puissants, alternatifs, envahissants, surprenants !
Vitesse, allure et résistance : Aller lentement, ne pas presser le pas, transgresser involontairement le speed ambiant, s’infiltrer dans les courses poursuite des usagers partant frénétiquement en week-end, leurs faire obstacle parfois, à s’en faire régulièrement bousculer… mais résister à la vitesse du flux, aller tout simplement au rythme de l’écoute, coûte que coûte…
Tonalités : De sourds grondements de moteurs, de souffleries, des bips et des sifflets haut perchés, des voix dans le médium, un ambitus sonore digne des plus beaux orchestres symphoniques.
Volume : Des micros sons captés de très près, l’incessant et quasi omnubilant défilé des valises à roulettes, de puissants vrombissements et des voix ténues, un spectre dynamique conséquent, aux variations souvent imprévisibles. Intensité calculéee de 48 à 90 db, environ…
Couleurs et lumières : Il semble y avoir une certaine connivence entre sons, couleurs et lumières… Une ruelle piétonne, délicatement éclairée, luisante de pluie, enrobe de douces sonorités dans un cocon nocturne, alors qu’un couloir violemment illuminé et rutilant d’enseignes commerciales, force le niveau des voix sur un fond d’insipide musique d’ambiance assez invasive. Mais peut-être ne s’agit-il ici que d’une perception synesthésique qui m’est très personnelle.
Ouvertures, fermetures, portes et fenêtres acoustiques : Se tenir dans un sas, salle d’attente, sortie de centre commerciale… Les portes s’ouvrent et se ferment dans un ballet désordonné, à la Tati dira très justement l’ami écoutant qui m’accompagne… Des sons divers, rythmés, alternances où le dedans et le dehors se rencontrent, se télescopent, s’interpénètrent… Les sonorités de la rue entrent, ou sont bloquées à l’extérieur, au rythme des ouvertures/fermetures, la fraîcheur des températures qui s’infiltrent par les portes collent de près aux flux sonores… Séquences toujours assez séduisantes.
Improvisation, écriture in situ: Comme dans tous parcours, les aléas appellent le mouvement, ou l’immobilité, selon. Des points de vue incitent à l’écoute, et vice et versa. D’heureux accidents retiennent l’attention, délimitant des fenêtres temporelles d’écoute dans leur début et leur fin. Chaque trajet, fut-il au même endroit, le même jour, aux mêmes heures, reste et restera unique, dans ses événements et dans les trajectoires impulsées. C’est une alchimie où le mélange d’ambiances immuables, d’impromptus et de sérendipité assumée influent l’écriture du parcours, dans un constant renouvellement. De quoi à entretenir constamment un doux étonnement au fil des PAS.
Urbains et humains : La gare, les commerces alentours, les lieux de passages, d’attente, de transit, où l’humain reste au centre de la scène. Des gestes, voix et mouvements, ponctuent l’espace, jusque parfois à des promiscuités oppressantes dans la densité des flux. Néanmoins, on se sent appartenir à un territoire sonore forcément partagé, que nous construisons au fil de nos actions, pour le meilleur et pour le pire. Mais ce soir, nous en avons extrait le meilleur, celui qui sonne à nos oreilles comme une une musique dont l’homme en serait, sans vraiment le savoir, le musicien animant, avec beaucoup d’autres, collectivement, l’espace public.
Lyon le 30 janvier 2015
crédit photos Patrick Mathon